Depuis l’été dernier, le mouvement citoyen de la Plateforme d’hébergement a pris une ampleur sans précédent. On ne peut que s’en émerveiller. Sur les réseaux sociaux, près de 40.000 personnes soutiennent et participent activement à relever le défi de mettre quotidiennement à l’abri ou d’accueillir chez eux les centaines de migrants qui se rassemblent le soir au Parc Maximilien. Ils s’indignent du sort de ces hommes et de ces femmes qui ne trouvent pas la protection de notre gouvernement de droite anti-libérale, mais bien sa détermination à les traquer à tout prix, « pour éviter l’appel d’air ». Cette gageure collective force l’admiration, bien au-delà du paysage belge, et est rendue possible par la mobilisation de volontaires d’une ténacité incroyable. Facebook recueille tous les jours des témoignages, souvent intimes et rarement politiques, qui décrivent l’accueil de migrants chez soi comme un geste finalement très naturel, une façon de sortir de la désespérante indignation passive. On lit tous les jours les trésors inépuisables d’empathie des citoyens, qui émerge naturellement dès qu’on peut donner un visage et un nom aux migrants, dès qu’on partage un thé et engage une conversation, même sans avoir en commun d’autre langage que la débrouille, la commune humanité et la bonne humeur. La chaleur du contact humain décrispe la froideur des données statistiques, ce n’est pas nouveau, mais l’engouement et la force du mouvement citoyen en est une brillante illustration. On doit pourtant dénoncer que ce mouvement de solidarité est un remède, fragile et spontané, parfois maladroit, toujours généreux, au manque total de prise de responsabilité du gouvernement fédéral. Le résultat de l’engagement citoyen de la plateforme a d’ailleurs été odieusement détourné pour justifier la politique anti-immigration du gouvernement. N’a-t-on pas entendu le Premier ministre se gargariser de ce qu’il n’y ait pas de Calais en Belgique grâce à sa politique « humaine mais ferme » ? Un grand moment de mauvaise foi crasse ou d’aveuglement béat, on hésite encore. Six mois après l’engouement, c’est encore plus révoltant d’imaginer que l’effort collectif consenti a permis d’occulter l’urgence humanitaire qui subsiste tous les jours dans les rues de nos grandes villes, et pas seulement au parc Maximilien.
D’une commune à l’autre, les citoyens interpellent leurs conseillers communaux sur le projet de loi de « visites domiciliaires ». Ce mouvement de plaidoyer a le mérite de repolitiser la question de l’accueil et de la criminalisation des solidarités. Les multiples prises de position pour dénoncer le projet de loi N-VA-CD&V, particulièrement courageuses dans les rangs des membres du MR, ainsi que la rediffusion des propos de Louis Michel, son attachement à défendre la liberté de circuler comme fondamentalement libérale, interrogent la politique migratoire. Ecolo s’est positionné très clairement sur le sujet depuis de nombreuses années. A nos yeux, il faut repenser les mouvements migratoires dans le contexte des relations Nord-Sud déséquilibrées, et du réchauffement climatique. J’ai récemment appris que le budget Fedasil était déduit du budget de la coopération internationale et, donc, bénéficiait en premier lieu à la Belgique. Quelle hypocrisie ! Ici, on doit décriminaliser les migrants et en finir avec les centres fermés, ouvrir les frontières, et inclure les nouveaux arrivants en soutenant les personnes dans leur intégration. C’est une vision résolument volontariste qui doit se jouer au niveau européen, pour arrêter le massacre en Méditerranée, ne plus se rendre complice ni des passeurs, ni des régimes autoritaires – voire tortionnaires -, en sous-traitant la dissuasion massive et brutale. Une approche pragmatique de cette question par l’angle budgétaire nous donnerait rapidement raison : la répression et la généralisation du contrôle coûtent plus cher aux finances publiques que l’inclusion de ces personnes. La détermination de ceux qu’on appelle les « transmigrants » à rejoindre le Royaume-Uni, un des pays les moins « généreux » en matière d’allocations sociales, doit finir de nous convaincre que non, ces personnes ne cherchent pas à dépendre de nos royales aides sociales, mais qu’ils seront des parfaits candidats du modèle néolibéral.

Ce sont des illégaux ! Et nos SDF ?

Si le recul de la méfiance à l’égard de qui nous est étranger et la contamination de l’empathie résultent de l’effet multiplicateur des réseaux sociaux et du contact humain, alors il est grand temps d’élargir le filon de cette solidarité renouvelée.
Les détracteurs de la plateforme lui opposent principalement deux arguments. Si on fermera volontiers les yeux sur le caractère souvent grossier de leur expression, reprenons-les, non pas pour les contrer, mais pour les prendre au mot.
Principalement dans le champ politique, la fermeté s’applique aux « transmigrants », ceux qui ne demandent même pas l’asile, ceux qui sont illégaux. Malgré les démonstrations de force, la traque et les rafles, les centres fermés et les procédures impitoyables, les sans-papiers – qu’ils soient en transit, déboutés ou n’ayant jamais tenté de régulariser leur séjour -, seraient en réalité 150.000 à l’échelle du pays. Cette clandestinité les expose à tous les risques, à toutes les exploitations. La précarité de nature administrative réduit les perspectives à la gestion de l’urgence, parfois pour des années. On imagine mal l’angoisse permanente et les stratégies extrêmement risquées de subsistance. La seule mesure qui les protège, à savoir le droit aux soins de santé (via l’aide médicale urgente via les CPAS), est aujourd’hui sous la loupe d’un contrôle renforcé, décuplé par le nombre d’intervenants CAAMI -CPAS- prestataires de soins. Si l’AMU est un droit qui doit bénéficier à toutes les personnes en situation irrégulière, la solidarité et l’indignation devraient pouvoir s’étendre à l’ensemble de ces personnes qui vivent en retrait de l’Etat de droit. La régularisation de tous les sans pap’, l’abandon du règlement de Dublin II doivent être largement revendiqués.
Sur les réseaux sociaux, on lit aussi : « Et nos SDF ? » Trouve-t-on normal d’héberger des personnes d’autres origines alors que des personnes belges dorment à la rue ? Ce qu’on ne fait pas pour les uns devrait alors nous interdire de le faire pour les autres, par principe d’équité détourné, Belgium first? Chaque personne qui doit chercher un abri pour la nuit est un toit qui manque. Le sans-abrisme, qu’il soit structurel ou frictionnel, doit être affronté de façon globale et volontariste. L’urgence humanitaire de loger ces hommes et ces femmes, qui culmine avec la régularité des saisons froides prolongées dans un climat réchauffé, c’est un plan courageux à la mesure du défi et de la fine expertise de tout un secteur, injustement malmené.

Plus globalement, j’en appelle à l’ensemencement de la solidarité. La vive et juste émotion qui nous agite au sujet des « visites domiciliaires » et des moyens de traques démesurés contre des non-criminels doit, selon moi, s’étendre à tous les plus vulnérables ; aux personnes sans revenus, déjà rompues aux visites domiciliaires intrusives, aux contrôles répétés et culpabilisants, aux procédures administratives vaines, à la dissuasion de faire valoir ses droits, à l’isolement, à la responsabilisation de l’exclu, qui rend la pauvreté invisible et permet tous les discours de délitement de la solidarité.

Stéphane Roberti, Président du CPAS de Forest

Article publié dans la revue Ensemble n°96 – avril 2018